Je voulais parler

Je voulais parler de mon père.

Comme nous tous, non, comme beaucoup, j’ai fait des analyses et des thérapies, j’ai vu des psys et des sorcières, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour nettoyer un peu le passé – mais comment y arriver vraiment?

Je n’avais pas d’idée à la base, il y avait plus cette sensation de devoir faire quelque chose – je veux dire, l’idée de nettoyer est venue après. Ce qu’il y avait, au tout début (et c’est la même chose) était la volonté de ne pas transmettre. J’avais une fille, un bébé, c’était Bianca: et je sentais de façon diffuse que ne pas parler, c’était lui transmettre de façon non réfléchie tout ce qu’il y avait (eu) de toxique dans ma famille et que personne n’avait jamais réglé. Que je sache, du moins (parce que maintenant qu’il sont tous morts, je me demande qui était qui, et qui j’étais moi, devant eux, qui avaient une vie que je n’ai connue que par fragments).

Je parlais de ma mère. De ma grand-mère. De ma tante. De cousines et d’autres femmes et de toute cette lignée qui semblait se suffire à elle-même, où les hommes n’entraient que pour créer désordre parfois, douleur presque toujours – mais qui étaient un peu accessoires. Ce qui se transmet, on le buvait avec le lait maternel – de façon imagée bien sûr, parce qu’en même temps on en se salissait pas trop les mains avec ces tâches plutôt animales.

Après avoir tout dit et tout redit, après avoir vomi les histoires crues (et sans réflexion), après avoir analysé, pleuré, m’être battue contre cette emprise et cette présence et cette force de femmes fortes/faibles/fragiles/invaincues toujours – nous étions toujours là mais beaucoup plus loin, et ce serait mentir que de dire que ce n’était rien. Ou que cela n’a servi à rien.

Plus loin – dans la réflexion. Plus apaisées, dans l’amour. Il ne restait que ma mère et moi et j’aime croire qu’elle l’a un peu senti, à la fin – que j’étais plus calme, sereine. Que je l’aimais, bien sûr, malgré tout, à cause de tout, grâce à tout.

Puis elle est morte. Les regrets qui viennent me hanter la nuit – ce sont ceux de tout le monde, rien de grave. Pardon. Je dis pardon la nuit dans le noir quand je me réveille, je le dis à voix haute et je n’ai aucun espoir qu’elle m’entende, je dis pardon et peu importe qui le sait. Je le dis, et je ne pense pas être la seule, je pense que la tristesse est celle de beaucoup. Rien de grave.

Et pourtant, encore maintenant je me réveille parfois toute légère et tout à coup une phrase, un mot – une lettre de mon père, écrite probablement avec gentillesse mais dont je ne perçois que la dureté, me coupe le souffle.

Ce que je veux dire: j’ai passé la moitié de ma vie à parler de ma mère. J’ai exploré elle et moi et nous dans les moindres détails, mais mon père?

Je ne sais même pas qui il est, mais je sais: qu’un mot de lui m’enlève le sourire. La force. Que je retombe dans mes vieilles blessures d’un coup – zero recul. Rien. Je me sens à nouveau seule. Mon père, c’est celui qui n’était pas là et on lui trouvait mille excuses. On disait de lui: il aime son travail. On disait (ma mère): il s’en fiche de toi. On disait de lui (lui-même): ce n’est pas ma faute, vous êtes allées si loin.

Colère. Tristesse. Fatigue. Résignation. Les mots de l’amour que j’ai pour mon père.

Ce matin.

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