Tomber

J’étais à Turin la semaine dernière, enfin cette semaine plutôt, je suis rentrée en Belgique lundi soir.

Quand j’y vais, je n’ai pas une seule seconde là-bas pour m’arrêter et penser; je suis dans l’action et dans les mots et dans l’organisation, je fais un pas en arrière pour prendre du recul et essayer de voir les choses avec un minimum de clarté.

Je l’ai déjà dit ici, ma mère est malade. Depuis si longtemps que je crois souvent que je m’y suis habituée. A une époque, je ne prenais rien pour dormir et je me réveillais souvent au milieu de la nuit: j’avais rêvé qu’elle marchait de nouveau, ou alors qu’elle ne marchait plus du tout et qu’elle me demandait de l’aide, ou alors encore que comme elle je tombait sans pouvoir me rattraper – que je tombais dans le vide. Après, les heures que je passais au lit à penser à elle étaient insupportables: les pensées de nuit, les angoisses de nuit, ce sont les plus violentes.

Je suis sa seule fille. Son seul enfant. Quand je regarde les photos de moi bébé et d’elle à côté de moi je vois: une belle femme italienne, ses cheveux noirs et son air décidé, je vois: ce bébé blond habillé comme une poupée, tout propre et tout parfait.

Maintenant je prend des choses pour dormir. Je ne supporte plus de me réveiller la nuit et de penser à elle. Seule, triste, avec tous ses défauts et son mauvais caractère, mais seule et triste. Et moi qui vis ma vie et qui la laisse là, qui pense à elle et qui me dis qu’elle doit avoir peur. Qu’elle pleure, toute seule.

Je disais donc, que la-bas je prends du recul. Mais que chaque fois que je reviens ici, j’ai besoin d’une semaine pour recommencer vaguement à aller mieux. Je ne m’en rends même pas compte, en fait, au début: je rentre et je souris et je travaille et je ris au bureau – et puis je pleure et j’ai l’impression de tomber dans le vide si tout le monde n’est pas là pour moi. Je demande à ceux qui me sont proches de me faire sentir qu’ils sont là à tout moment, je leur demande de prendre soin de moi, je le leur demande sans le demander et en étant méchante et agressive. Je ne donne pas le meilleur de moi-même à ce moment-là. Et puis je me regarde et je ne m’aime pas. Et puis, encore, je me sens tomber dans le vide.

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