You stop here

Il y a comme un mystère quant à la date à laquelle j’ai commencé le yoga, ou plutôt à quand j’ai commencé à aller chez Jean-Claude. J’ai des souvenirs qui remontent à juste après la naissance de Ben, à quand j’étais si souple après mon accouchement que je me sentais hyper douée et faite pour le yoga – où je mettais mes pieds derrière la tête pendant que je buvais un café et ça me semblait normal.

Mais je me dis aussi que ce n’est pas possible, que Ben n’a que 6 ans et que j’ai l’impression que cela fait bien plus longtemps. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas de souvenir précis de la première fois, et ça c’est étrange, moi qui suis une fille de souvenirs et de moments et de premières fois.

Jean-Claude, c’est mon prof et mon maître et celui qui m’a tout appris en ashtanga. Et comme souvent avec un prof et un maître, je l’ai trop aimé pour imaginer qu’en dehors de lui il puisse y avoir autre chose – d’autres visions d’une même pratique, d’autres interprétations. Tout cela s’est encore amplifié il y a 2 ans quand j’ai commencé ma formation de professeur de yoga avec lui (avec des doutes, des peurs, des hésitations – moi, quoi, comme d’habitude: qui suis-je pour vouloir transmettre quoi que ce soit aux autres, je ne sais rien et même je ne suis rien etc etc), les longues après-midis à l’écouter parler, la sagesse de son discours, sa bienveillance et sa justesse: tout était fait pour que je ne remette rien en question, jamais.

Puis cette année à été difficile pour moi en termes de pratique – j’avais peu de force quand j’étais là et puis souvent je n’étais pas là, prise ailleurs par autre chose; et quand enfin j’ai eu plus de temps, c’était presque l’été, Jean-Caude n’était presque plus à Bruxelles, et un samedi matin après avoir peu dormi j’ai été à un cours d’ashtanga chez Yoga Room. Je regarde l’horaire et je vois Ashtanga/ Full led primary, je me dis parfait, une bonne première série, toute simple, pour me recentrer un peu, easy game.

J’arrive, il n’y a pas beaucoup de monde, je les vois tous très concentrés dès le début, et puis Nick, un jeune américain avec de très beaux pieds, nous explique qu’il nous arrêtera à un moment de la série s’il pense que nous ne devons pas continuer, que chaque posture prépare à la suivante et que si notre posture n’est pas correcte – il dit ça, « correct » – cela n’a pas de sens de continuer, pour aujourd’hui. Cela, Jean-Claude le dit aussi: chaque pose prépare à la suivante, on fait la série dans l’ordre et on fait tout, il n’y a pas de « ça je ne fais pas, ça je n’aime pas », ce n’est pas de la gym. C’est un flow, aussi: on ne s’arrête pas, on garde le rythme et l’énergie. Mais Jean Claude n’arrête jamais personne – il aide, ou pas, mais on continue tous jusqu’à la fin.

Nick commence par dire la prière: une phrase, et on répète, puis une autre, et on répète, et puis tout de suite on commence et pendant une heure et demie on ne s’arrête jamais. Après la prière il murmure des chose en sanskrit pour lui -même, et puis voilà, on entre dans son rythme, qui est: régulier, excellent, rigoureux. Je suis immédiatement prise par quelque chose de presque magique, je suis là, vraiment là, c’est mon corps qui travaille et ma tête aussi, il y a comme quelque chose de religieux dans ce silence et sa voix qui compte , 5 respirations, one, two, three, four, five, le nom de la pose suivante, le vinyasa, one, two, three, four, five. Il passe de l’un à l’autre mais touche très peu, corrige avec la voix et le regard. Me corrige quelques fois parce qu’il y a vraiment des choses que j’ai apprises différemment. Plus on avance dans la série, plus il commence à arrêter des gens, « you stop here, your pose is not correct ». Comme ça, c’est tout.

Je m’attends à tout moment à ce qu’il m’arrête aussi. Ma pratique n’est pas aussi précise que je le crois parfois. Et puis non, je vais jusqu’à la fin. Je ne sais pas pourquoi, mais il ne m’arrête pas.

On arrive à sirsasana, la dernière posture sur la tête. C’est ma grande difficulté, tout ce qui n’est pas ancré dans le sol, tout ce qui est un peu aventure. Je la fais, en général, pas loin du mur même si je ne le touche pas. Là, je cherche un mur du regard, il me voit et me dit « you do it without the wall or you don’t do it » – alors voilà, je la fais.

A la fin de ce cours je suis épuisée – moi qui m’attendais à un petit cours cool, je n’ai jamais eu quelque chose d’aussi rythmé et intense. Même après la deuxième série avec Jean-Claude, qui est pourtant difficile pour moi, je ne me suis jamais sentie aussi fatiguée, aussi proche de la limite de mes forces. Mais d’avoir touché à ces limites me donne aussi une énergie incroyable. Il faut toucher à cette douleur là, de temps en temps, la douleur non pas des poses – moi, j’ai rarement mal – mais la douleur de pousser son corps avec sa tête encore et encore avec juste l’énergie d’un prof qui ne touche pas, ou peu, mais qui aide avec son regard et son intention.

J’y suis retournée quelques fois depuis. Je n’ai pas d’avis sur ce qui est mieux, quels ajustements ont plus de sens. Jean-Claude travaille plus en douceur et en réflexion, en modifiant parfois des poses quand cela fait sens. Nick, élève de Sharath, est dans la rigueur – correct, not correct – mais cela se tient aussi. C’est en tout cas très intéressant pour moi de voir une autre façon de faire.

Je sors maintenant d’un de ses cours, j’entends encore sa voix qui compte et je sens encore l’énergie avec laquelle il tient cette classe. J’espère que son chemin s’arrêtera un peu en Belgique et qu’il aura l’occasion de mettre en place le mysore tous les jours comme il le voulait au début.

Je vous encourage en tout cas à y aller.

« You stop here ». Parfois, dans la vie, on s’arrête à un endroit et on le travaille bien même si ça fait mal – on ne glisse pas au-dessus sans le voir. On embrasse l’obstacle de tous les côtés et on ne ferme pas les yeux. On accueille et on accepte. Aussi de s’être trompé, parfois. De ne pas avoir pris le temps de regarder la difficulté, la sienne et aussi celle qu’on provoque autour de nous – la tristesse des autres.

Cette prière de ce matin, avec une intention forte dès le début, est pour dire: pardon. J’ai été loin et égoïste et tournée vers moi. Mais j’ai compris. « On ne peut pas changer le passé mais on peut en tirer de bonnes leçons », disait Alice au Pays des Merveilles.

 

(Ashanga avec Nick chez Yoga Room, plusieurs cours par semaine à Defacqz et à Fort Jaco. Je vous encourage à y aller, c’est vraiment du haut niveau d’ashtanga. www.yoga-room.be.)

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